samedi 7 mai 2011

Le loup en appela au pouvoir du Soleil.

Un constat d’échec. Un aveu d’impuissance. Et rien d’autre. Enfin, si : un assassinat en bonne et due forme.

Flashback. En avril 2006 sort sur PlayStation 2 Ôkami, le premier jeu intégralement conçu et développé au sein du studio Clover, propriété de Capcom. Un jeu d’une ambition folle et d’une richesse à peine croyable, nourri des légendes et traditions ancestrales japonaises, arborant un style graphique stupéfiant de beauté, et racontant son histoire avec un ton faisant un étonnant et merveilleusement habile grand écart entre la comédie burlesque et l’épopée légendaire. 40 heures de jeu, 40 heures de bonheur et d’émerveillement intenses, à peine entachées par quelques petites baisses de rythme par-ci par-là. Et la certitude de tenir là un jeu majeur.

Seulement voilà, le jeu vidéo est un loisir de débile, et donc Ôkami a fait un four partout dans le monde. Normal, il n’y avait pas écrit “Call of Duty” ni “FIFA” sur la boîte, ça n’avait aucune chance de marcher.

Conséquence immédiate, ni une ni deux, Clover ferme ses portes quelques mois plus tards (tout juste le temps de sortir un dernier jeu pour la route, God Hand), et Hideki Kamiya et Atsushi Inaba, respectivement réalisateur et producteur d’Ôkami, quittent Capcom pour aller fonder le studio Seeds (qui deviendra plus tard Platinum Games).

Là, on se dit que c’est bon, on n’entendra plus jamais parler de la licence Ôkami. Sauf que chez Capcom, on a de la suite dans les idées, et on sait que les jeux ayant eu une aussi bonne presse que ça, c’est pas monnaie courante ; et ça vaut quand même le coup de capitaliser dessus. On annonce donc un portage du jeu sur Wii (qui fracasse au passage le style graphique du jeu et l’ampute de son somptueux générique de fin, mais c’est pas grave), et aussi... une suite. Sans Kamiya et Inaba, bien sur. Et ce coup-ci, on la joue “fail-safe” : d’abord, on choisit une plate-forme qui nous assurera des coûts de production particulièrement bas (la DS) ; ensuite, on se donne une orientation trop mimi-kawaii-choupinou-nintendogs qui assure l’adhésion du grand public. Traduction : on met des gamins et des bébés partout où on peut, et le protagoniste principal est donc un louveteau, la progéniture du loup en lequel la déesse du soleil, Amaterasu, s’était incarnée dans le premier volet.

Problème : le louveteau en question n’est pas mignon, il n’est même pas beau, n’a pas hérité d'un centième de l'élégance de son ascendance, et il est aussi expressif qu’un poisson mort. Mais c’est pas grave.

Tout au long du jeu, il sera accompagnés par divers jeunes personnages qui se succéderont : le fils de Susano, une jeune sirène sortie de nulle part, une jeune actrice de kabuki sortie de nulle part, un jeune garçon du Peuple de la Lune, et... un mec boulimique dont j’ai toujours pas compris à quoi il servait (et qui sort de nulle part). Bref, cinq petits personnages tout mignons (ou pas), dont trois pour lesquels on ne peut humainement pas développer la moindre empathie puisqu’ils ne servent STRICTEMENT à rien.

L’univers est rachitique. Reprenant à tout péter un petit dixième de l’air de jeu originale (et n’introduisant quasiment aucune nouvelle zone), il est de surcroît vide, dépourvu de toute forme de vie. Les quelques efforts faits pour assurer la continuité avec le jeu original ne font rien d’autre que de souligner douloureusement l’ampleur du massacre : bâtiments sans utilités (ils se sont tous malencontreusement effondrés il y a quelques jours, oups, c’est ballot !), accès à d’autres zones bouchés, murs invisibles... Tous les poncifs du genre y passent.

Le scénario et la progression, quant à eux, sont juste idiots. Témoignant de l'ahurissant désert créatif qu'est Ôkami Den, ils reprennent à la lettre les mécaniques du jeu original, et le font maladroitement, sans talent, sans inspiration, sans conviction, bref : sans rien. Enfin, ça, c’est jusqu’au dernier quart du jeu.

À ce moment-là, on passe en mode super-sayien. Au moyen de voyages dans le temps lourdingues, le jeu décide d’aller farfouiller au coeur même de la mythologie d’Ôkami. Le voilà qui trempe ses pattes lourdaudes dans la peinture céleste de Shiranui. Attention les yeux, ça va faire des dégâts. Si l’on était près à accepter quelques incohérences temporelles (envore que, il aurait fallu qu’il n’y en ait pas plus de 9000 comme ici), il est tout simplement impossible de pardonner la façon dont sont mutilés les personnages du jeu original. Ils sont soudainement privés de toute leur richesse, tout leur caractère. Shiranui en fait les plus gros frais : jadis une divinité magnifique et majestueuse, dont chaque apparition prenait un tour mythique (au sens propre du terme) et même presque messianique, il est ici au réduit au rôle d’un canidé lambda, dépourvu de la moindre élégance, qui se contente d’être “mignon” quand il fait des caresses au petit louveteau (“kawaii”, les gros, “kawaii” !).

Bref, à cause de ce final, il n’est donc même pas possible de rester indifférent à cet Ôkami Den. Pour quiconque a connu et apprécié à sa juste valeur le monde d’Ôkami, il est une insulte, un vigoureux bras d’honneur. Un caprice de gosse trop con et naïf pour croire qu’il suffit d’imiter les grands pour se faire passer pour l’un d’eux. Pour que la légende du village de Kamiki reste ce magnifique conte que l’on a un jour connu, il faut à tout prix oublier cet “Ôkami for kids/with kids/by kids”, le faire disparaître à tout jamais. Feu à volonté.

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